Interroger la construction des politiques migratoires africaines (compte-rendu)

Les 16 et 17 septembre 2021, l’IMéRA (Institut d’Études avancées d’Aix-Marseille Université) a accueilli un colloque international sous le thème : « Interroger la construction des politiques migratoires africaines », co-organisé et co-financé par l’Institut SoMuM (Société en Mutation en Méditerranée), Aix-Marseille Université, l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), le Laboratoire Mixte International MOVIDA, l’IMÉRA, le LPED (Laboratoire Population Environnement Développement de l’IRD), l’Université Saint-Louis Bruxelles, et la FMSH (Fondation Maison des Sciences Humaines).

Deux journées de discussions et d’échanges interdisciplinaires autour de la conception des politiques migratoires, de leur mise en œuvre sur les différents contextes du continent africain, et des enjeux qui découlent de ces processus. Après une longue pause forcée par le contexte sanitaire, la vie scientifique et les échanges en présentiel ont repris avec cette première rencontre. Le colloque a ainsi rassemblé plus d’une trentaine de participants sur place et tant d’autres ont pu assister en distanciel grâce à sa diffusion en ligne.

La première de ces sessions débutait par un discours d’ouverture dans lequel l’objectif de la rencontre était clairement évoqué : la nécessité d’écrire une Histoire à parts égales, en reprenant le titre de l’ouvrage de Bertrand Romain. Ainsi, ce colloque cherchait à éviter une perspective d’analyse euro-centrée afin de redonner aux acteurs africains une place prédominante dans l’observation des processus de construction des politiques migratoires. En effet, la question des contrôles migratoires au Maghreb et en Afrique sub-saharienne suscite un grand intérêt scientifique en Europe depuis quelques décennies en raison de son impact évident sur les transformations des droits, des normes et des pratiques liées à l’immigration. Mais cette approche occulte souvent les spécificités des différents États africains et leur rôle actif dans la production et la mise en œuvre de ces politiques.

Les dimensions internationale et pluridisciplinaire ont été les deux axes de développement privilégiés par ce colloque international. Plus de vingt interventions par des chercheurs et chercheuses de différentes disciplines et en provenance de différentes universités européennes et africaines ont animé la discussion autour des processus de construction des politiques migratoires pendant ces deux journées. Des jeunes chercheurs d’Aix-Marseille Université ont aussi eu la possibilité de participer au colloque pour faire, à la fin de chaque séance, une restitution des idées principales qui avaient été soulevées.

Ce colloque international a permis d’aborder différents cas africains, dont ressortent des thématiques et dynamiques transversales, en plus d’envisager les migrations comme un phénomène multiforme. Les différentes interventions proposaient d’envisager les entrées thématiques sur deux échelles : étatique, et infra- ou trans-étatique.

Ainsi, la première journée du colloque a proposé d’appréhender les politiques migratoires africaines par le prisme de leurs fabriques, invitant les participants à réfléchir sur l’africanité et l’africanisation des politiques migratoires. Une attention spéciale a été portée sur l’enjeu de l’héritage et l’influence européenne sur les pratiques de gestion et contrôle des migrations intra-africaines, et sur la question qui en découle : comment appréhender cette appropriation ? L’enjeu a été, dans cette première session, de montrer comment se créent et s’entretiennent les différents espaces — illégalité, tension, négociation, coopération — par un jeu d’acteurs de plus en plus complexe soumis à une logique de concurrence, au sein duquel chacun négocie sa place au coup par coup.

La deuxième partie du colloque a porté sur les effets des politiques migratoires africaines ; les interventions se sont focalisées sur trois axes principaux :

1. la dimension sécuritaire des migrations, omniprésente sur tous les territoires. En effet, les flux migratoires sont souvent envisagés comme des défis sécuritaires qu’il faut contrôler. Dans ce sens, plusieurs des intervenants se sont interrogés sur les lieux de contrôle — notamment les frontières — les acteurs du contrôle et la manière dont ces contrôles sont effectués, souvent de façon de plus en plus opaque et répressive.
2. la multiplication des acteurs sur le « marché » de la politique migratoire africaine. Celle-ci se traduit par la présence de plus en plus d’intermédiaires entre décideurs et migrants, plongeant ces derniers dans une situation d’incertitude, d’attente et de dépendance à des dispositifs humanitaires.
3. La dimension diplomatique des enjeux migratoires dans le contexte international. Les interventions ont permis d’envisager les politiques migratoires comme un outil de régulation des relations diplomatiques entre territoire national et bailleurs étrangers. Mais cette approche cache souvent la lourde réalité du parcours du migrant derrière des discours édulcorés des représentants politiques.

Le sujet de la migration n’est pas l’apanage d’une matière spécifique ; traiter de manière efficiente une problématique migratoire nécessite donc la mobilisation de divers domaines d’études. Le colloque sur les politiques migratoires africaines a rassemblé des chercheurs et experts de différentes disciplines afin d’avoir une large vision du phénomène migratoire pour mieux appréhender le sujet principal. C’est ainsi que, au nombre des participants et notamment des intervenants, on retrouvait des profils de juristes, politistes, géographes, sociologues, historiens, etc. La pluridisciplinarité des acteurs du colloque a contribué à enrichir les débats et à les rendre féconds. En effet, au sortir de l’activité, on a convenu que l’ultime solution aux problèmes que la migration pose, quelle qu’elle soit, et surtout si elle ne se veut pas partielle ou partiale, ne peut venir exclusivement d’une discipline spécifique, mais plutôt du dialogue de toutes les matières.

Un regard sur l’histoire des migrations aide à mieux comprendre ses enjeux. Sur la base des éléments qu’elle expose, on comprend mieux le phénomène migratoire aujourd’hui et on appréhende plus objectivement la réalité de l’immigrant et de l’émigré. La géographie et la géopolitique nous expliquent que si la migration est très souvent volontaire, elle peut être imposée par des événements ou phénomènes extérieurs aux candidats à la migration. La politique expose toute la difficulté à appréhender le phénomène migratoire et la barrière que constituent les frontières. Le droit se heurte également aux frontières et peine à faire émerger une sorte d’approche africaine commune sur la migration.

Face à cette question, qui fait l’objet d’un débat constant dans la sphère publique, il est essentiel de créer des espaces de discussion multidisciplinaires et internationaux sur l’avenir de la gestion des migrations dans un contexte mondial, comme l’illustrait ce colloque. La pandémie de Covid-19 dans laquelle nous sommes encore plongés a montré à quel point les mouvements transnationaux seront davantage à l’avenir un enjeu social mais aussi sanitaire et géopolitique. Dans ce contexte, il est nécessaire que le débat et l’échange scientifique sur la question des migrations s’inscrivent également dans une perspective de coopération scientifique internationale, seul moyen de commencer réellement à écrire une histoire des migrations à parts égales.

*****

Marion Frelat (Aix-Marseille Université, Sciences Po Aix), Andréa Gallinal (Aix-Marseille Université, Sciences Po Aix), Ravel Ouattara (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne)